I stand in the midday of your life
by Rachel Korn
Chantal Ringue
I stand in the midday of your life
I stand in the midday of your life
A cob bent over with abundance in midfield
It has removed its green shirt of June
And grown in the golden certainty of days to come
The wind plays with the little lilac bells in the far meadow.
The summer spreads the bitter smell of wild poppies.
In the damp and scorching ground
And in my hair
And when the day weaves blonde braids
When the night gathers the pearls of roses
My tanned body falls at your feet
As the cob stiffens before the reaper.
I stand in the midday of your life
Voici le poème d’une amoureuse. Est-il destiné à son époux, celui qui fut assassiné dans la résidence familiale près de Varsovie lors d’une rafle allemande ? Ou à l’amant avec lequel elle a entretenu une passion brûlante, Melech Ravitch (1873-1976), poète de renom, grand voyageur, écrivain cosmopolite ? La deuxième option est la plus vraisemblable. Car le ton qu’elle adopte ici – le ton d’une femme que la passion déchire – fait écho aux lettres que Ravitch lui a adressées dans les années 1930.
J’aime par-dessus tout l’élan fiévreux qui caractérise ses textes. Son emportement. Le soulèvement qui la traverse. Il est rendu par sa manière d’inciser le langage, de creuser la matière, un peu comme on laboure la terre. Sous sa plume, la nature – les paysages de la Galicie aux arbres du mont Royal, jusqu’au corps féminin – resplendit avec force. Néanmoins, un symbolisme ténébreux caractérise parfois ses textes. « Une impression d’étrangeté profondément ressentie, tel un motif mystique, émerge de sa poésie… », écrivait Élie Wiesel.4
Chez Korn, plus on plonge dans les gouffres du XXe siècle, plus on atteint à la vérité d’un sujet qui s’exprime dans toute sa sensualité. Il y a ici un lien organique avec la nature. Parmi les écrivains de sa génération, Korn, « poétesse de la nature », fait figure d’exception. Rares, en effet, sont les voix yiddish qui s’intéressent à l’univers de la forêt, à sa végétation abondante et à ses frondaisons luxuriantes.
Ce n’est pas seulement une femme qui se dévoile ici ou qui cherche à recréer ses racines. C’est aussi une femme qui poursuit sa démarche tout en sachant que dorénavant, elle s’adressera peut-être davantage aux morts qu’aux vivants. Dès les années 1950-1960, les jeunes générations tourneront le dos au yiddish; ils parleront l’anglais, l’espagnol, le français, l’hébreu, pourvu qu’ils pourront éviter l’idiome de leurs parents et de leurs grands-parents… Le monde se déchire. Les amours s’effritent. Et si même la langue des morts, on n’en veut plus, à quoi bon la transmettre ?
Sans demeure dans les trous du XXe siècle, Korn cherche à recréer dans la langue un monde familier, mais ses mots sont hantés par la disparition de centaines, de milliers, de millions d’individus. Elle trouve dans la forêt une demeure et dans les arbres des compagnons d’infortune. « Mes amis étaient les arbres… je les voyais simplement comme des gens5 », écrira-t-elle plus tard.
Pourquoi m’entêter à la traduire, en anglais de surcroît ? D’abord, parce qu’elle n’a pas toujours été bien traduite dans cette langue. Ensuite, parce que j’aimerais que le lecteur aperçoive, derrière cette femme, le sens caché de notre détresse commune, depuis la Seconde Guerre et la chute du sens, depuis les violences du XXe siècle sanguinaire.
En relisant ce poème, je suis frappée par « l’odeur amère des coquelicots sauvages » (« the bitter smell of white poppies »). La poésie de Korn est vécue sous le signe de vifs transports. Chose rare à l’époque, elle obéit à un principe fondamental, celui du dévoilement. À cet égard, le dernier paragraphe atteint une rare beauté en exposant la transcendance qu’atteint l’amoureuse dont le corps se fond à la nature au point d’en devenir un simple élément :
« Un ven es flekht zikht tsu di blonde tsep der tog, / un der ovent kloybt di perl fun der rose, / falt mayn broyner leyb tsu dayne fis, / vi di zang, vos brecht zikh forn shniter. »
« Quand le jour se tresse en nattes blondes /
Et que le soir ramasse les perles des roses / Mon corps hâlé tombe à tes pieds /
Comme l’épi se contracte devant le faucheur »
Parmi d’autres, je pose une question essentielle : à l’origine, tout amour n’est-il pas une fiction ?