Poèmes tirés de eating matters de Kara-lee MacDonald
Benoit Laflamme
se nourrir
n’est plus un besoin
ni un plaisir, mais une discipline
pour contrôler — son image, ses émotions,
ses envies, son envie
de consommer, d’être consumée
au septième jour son corps
la dote d’un complexe
elle veut déterminer
son poids, comment les autres la perçoivent
elle veut exister dans ce monde, être présente
avoir une présence, mais à la place —
elle s’efface lentement
une question demeure — comment
peut-elle s’accrocher à elle-même
quand l’évacuation
l’obsède
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le comble de l’humiliation c’est
d’aller se cacher dans les toilettes de mon amoureux
après un délicieux repas que j’ai préparé
et prier pour qu’il ait des écouteurs dans les oreilles
et qu’il ne m’entende pas vomir
le fruit de mon labeur
puis descendre les escaliers
incapable d’affronter son regard
craignant qu’il remarque la rougeur de mes yeux
allumer une cigarette, prendre un instant pour
me ressaisir. dans quelques minutes
mon nez aura cessé de couler
mon sang aura repris son cours
puis — comme si de rien n’était
muselée par la honte, refuser les baisers
jusqu’à ce que l’acidité s’atténue
et que j’arrive à me brosser les dents
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réactions :
maman vomit, dégoûtée par la vue de la toilette.
dit que c’est le problème, et non la puanteur,
qui lui lève le cœur.
frère change de sujet, visiblement
mal à l’aise. une étincelle dans l’œil,
doute de sa propre mère, de la possibilité que
nos soupçons d’enfants s’avèrent.
nouvel ami offre son soutien, ne s’en ferait pas
à ma place. veut me faire comprendre
que je n’ai pas à me cacher, que le monde est détraqué
mais qu’on peut l’apprivoiser.
chum analyse, ce qui trahit son absence de
compréhension. cite des traumatismes passés,
me définit par eux, met ça sur leur dos
pour clore la question une fois pour toutes.
serveuse mélange les assiettes, veut lui donner le burger
et les frites, le regard incrédule,
me souhaite bonne chance.
amie empathique — a souffert aussi, mais
s’exprime au passé, elle est forte maintenant,
une autre qui s’en tire mieux que moi.
ex confirme ma beauté, impute la cause à la
balance. ne remarque aucune différence, me montre
comment trouver des recettes selon les calories et la teneur
en gras.
meilleur ami écoute, perçoit la douleur, les mots
sont inutiles. me laisse goûter son
milkshake, conscient que je ne peux pas en commander un
moi-même.
directrice de recherche insiste — a déjà rencontré ce problème
cherche à le régler. dit qu’il faut s’occuper
l’esprit, continuer la maîtrise, refuse de voir une autre
étudiante abandonner.
papa pleure. se demande ce qu’il a fait de mal.
lit le premier poème — je tends la main pour prendre
la sienne.
eating
no longer about sustenance
or joy, but a struggle
for control—her image, her emotions, her
impulses, impulse
to consume, to be consumed
and on the seventh day
her body gave her a complex
she wants to decide
her weight, how others see her
she wants to be in the world, be present
have a presence, instead—
she slowly disappears
the question remains—how
can she hold on to her sense
of self while so preoccupied
with evacuation
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few moments are more humiliating
than hiding in my partner’s bathroom
after a delicious dinner i prepared
praying the boy has his headphones on
that he won’t hear me throwing up
all my hard work
walking downstairs afterwards
unable to look him in the eyes
afraid he might notice their redness
grabbing a cigarette, needing a second
to collect myself. a few minutes
to stop my running nose
allow my blood to settle
then—as if nothing happened
shamed into silence, refusing kisses
until the acid has calmed down
and i can brush my teeth
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reactions:
mom vomits, sick form the sight of the toilet.
says the problem, not the stench itself, upsets
her stomach.
brother changes subject in obvious
discomfort. a flicker in his eye,
suspicious of his own mother, the possibility that our
childhood gossip was real.
new friend supports and would not be
alarmed. takes care to make sure i know
there is no pressure to hide, just a sick world
that can be overcome.
partner analyzes, which underscores lack of
understanding. brings up past trauma,
defines me through it, attempts to explain it
all away.
waitress confuses order, wants to give burger
and fries to him. an incredulous look, she
wishes me luck.
girl friend relates—she too has suffered. but
this is past tense, she is stronger now,
another one-up.
ex confirms beauty, connects origin with
scale. he cannot see a difference, shows me
how to search for recipes by calories and fat
content.
best friend listens, sees pain, words
unnecessary. agrees to give me a sip of
his milkshake because he knows i can’t order my
own.
professor pushes—she has seen this before
and seeks resolution, says distractions are
key, keep working, does not want another
grad student failure.
dad cries. asks where he went wrong. he
reads the first poem—i reach out to hold his
hand.
MacDonald, Kara-lee. eating matters. Halfmoon Bay. Caitlin Press (2016)