Faded Spring
by Rachel Korn
Chantal Ringue
Faded Spring
Do you remember ?
I told you once
In a foreign city
In a dark street
My lips sealed in love and hate:
–You are my downfall.
You laughed out loud
And in the circle of your laugh
My anguish disappeared.
Every twilight
I look at my hand and reflect
And I search for the path of destiny
That sent me toward you
At this godforsaken hour
Near this thin and solitary line
Running through the palm of my hand
Like a guillotine,
Will it be able to cut the thread
That connects me slavishly to you
For better or for worse?
And perhaps I will speak rosy hieroglyphs
Who called you ?
Was it my blood
Or my dreams ?
And perhaps you are only a coincidence
Like a tree in the middle of a field
Whose seeds have ben dispersed by the wind?
I am uncertain of it
As when I close my hand
I hear
All the lines of my palm
Running together in a savage fear
They stammer, they curse, they call
Your name, your name.
II
Dark circles under my eyes
As a powerless quest
All the words lost on his path.
I stood there motionless
A tree awaiting storm.
Every caress that penetrates my blood
I keep ready for you
On the delicate skin of my fingertips.
And my pillow, my doorstep, my door are aware
That you haven’t come.
And even the ancient rumors, the street
Worrying every day about your shoe buttons
– And to where and for whom and why so fast ? –
Having recognized you alone
In the weary and impotent steps
As today I have waited all day long.
All the stars have disappeared
On the other side of the wall –
The night is gloomy, black and secret
And like a red glimmer
That cannot shake off
My heart hangs from a hook on the door
Quivering at the sound of every unknown step
And waits
For you to hold it in your hand.
III
It is the same heaven over us
Like a common roof
And perhaps we have seen the same stars at the same time –
But your shadow is breaking down a foreign door
And I have soaked yet another pillow with my tears
But you can’t hear my words
While ten, twenty streets carry you away, as do the seas
The sidewalks become stormy waves
And every path might be closed forever
I know, maybe you passed by my door today
As a stranger you moved far away
Although it is the same heaven over us
As if entire worlds were transforming.
Faded Spring
Dans cette série de poèmes intitulée « Printemps délavé » / « Farvianeter friling», Korn revisite donc ses amours perdues. Le souvenir de la douleur perce à travers le printemps aux couleurs délavées. Les « lèvres scellées d’amour et de haine », elle ressent la déchirure. Son amant l’a propulsée vers la chute. Son amant suprême, celui qu’elle poétise sans toutefois croire en sa rédemption, est Celui qui inspire et révèle les Écritures – et dont ses propres écrits ne sont qu’un calque, une copie.
Pour traduire le printemps délavé de Korn, il faudrait solliciter un peintre qui saurait rendre avec de vives nuances la labelle des orchidées de Galicie, les aiguilles argentées des sapins baumiers, le chatoiement dans le feuillage des bouleaux blancs. La souplesse des branches des arbres qu’elle aperçoit par les fenêtres de sa maison, soufflée par le vent qui caresse le flanc nord de la montagne. Si j’interrogeais les rêveries de Rachel, il faudrait une galerie de portraits d’arbres enfouis dans sa mémoire. Une série d’arbres généalogiques tronqués.
Cette exégèse d’une trilogie printanière se heurte au mystère, à l’incompréhension de la poète qui convoque d’autres écritures : celles du corps bien sûr, mais aussi celles propres à la tradition égyptienne: « Je parlerai de hiéroglyphes roses ». Derrière la question lancinante « Qui t’a appelé ? Était-ce mon sang ou mes rêves ? », on entend une autre question résonner depuis les profondeurs du texte biblique : « Qui appelle ? » Qui a inscrit dans le Livre des morts ce poème liturgique comprenant la liste de ceux qui allaient quitter ce monde durant la nouvelle année, et qui sera chantée durant le Yom Kippour, la fête la plus solennelle du calendrier juif ?
Rachel dépeint la scène inaugurale de la fêlure, celle d’une femme dont l’amoureux la propulse vers la chute. L’amoureux dont l’absence est cause d’une souffrance infinie, au point où elle cherche à lire dans sa ligne de cœur, paume saillante, comme si son destin y était gravé depuis sa naissance. Comme si elle était, ici encore, prédestinée, vouée à obéir à un commandement généalogique.
Il faudrait tout faire entrer dans ce livre de Prédestinations qui s’étend sur vingt ans, en intégrant une multitude de souvenirs. Il faudrait faire entrer tout ce qu’il reste de l’amoureux perdu, de l’homme comme de Celui qui l’a peut-être propulsée sur les chemins de son destin.
En marchant solennellement dans les sentiers de verdure au printemps, elle puise un sentiment de calme et de sérénité, une sagesse réconfortante. Et puis, n’est-elle pas accompagnée par l’esprit de la forêt (« des vald-rueh »), figure centrale dans les contes symbolistes de la littérature yiddish?