Je serai toujours là, par Mary Elizabeth Frye
Isabelle Collombat
Je serai toujours là
Ne reste pas là, devant ma tombe, à pleurer
Là où je ne suis pas, là où je ne gis pas
Je suis le souffle du vent qui vient t’effleurer
Et ces cristaux de neige crissant sous tes pas
Je suis l’aube silencieuse où tu t’émerveilles
De la murmuration des oiseaux qui s’éveillent
Je suis là dans l’effluve de chaque corolle
Et je suis de l’oiseau la chanson sans paroles
Je suis le soleil qui inonde les blés mûrs
Et cette douce pluie d’automne qui murmure
Je suis dans ces étoiles qui scintillent à peine
Aux confins de la nuit infiniment lointaine
Je suis dans le silence du refuge où tu pries
Et dans toute belle chose se niche mon esprit
Non, ne reste pas là, sur ma tombe, à pleurer
Là où je ne suis pas, là où je ne gis pas
Partout où est la vie je serai toujours là
Commentaire
Mary Elizabeth Frye n’est connue que pour ce seul poème, qu’elle aurait écrit en 1932 sur un sac d’épicerie en papier pour une amie endeuillée. Le texte, parfois attribué à d’autres plumes, a connu de nombreuses variations en anglais et a été traduit dans plusieurs langues. Dans le monde entier, c’est désormais un classique des funérailles, connu en français dans une version très littérale, non rimée, dont l’émouvante simplicité repose en grande partie sur l’anaphore « je suis » suivie d’un complément direct.
Bien que d’apparence classique en raison de la présence de rimes, le poème original, d’inspiration spontanée, est de composition non canonique : alors qu’un sonnet comporte classiquement quatorze vers, généralement des décasyllabes en anglais, celui-ci comporte seize vers, pour la plupart octosyllabiques. La version dont s’inspire ma traduction est celle que Mary Frye a présentée comme l’originale lors d’une entrevue avec Kelly Ryan sur CBC/Radio-Canada le 10 mai 2000.
Ce poème incarne à mes yeux la sublimation de l’invisible, de l’absence absolue, celle qui suit le décès d’un être cher; il cherche à apporter une consolation fondée sur la métamorphose de l’absence en une omniprésence presque cosmogonique, la personne disparue révélant désormais sa présence invisible dans chaque manifestation des beautés de la nature. La peine s’en trouve transfigurée en une sorte de plénitude esthétique que l’autrice donne à voir dans des éléments naturels aussi infimes qu’un éclat de soleil sur la neige et aussi vastes qu’un ciel étoilé – cet empan créant l’illusion de l’omniprésence.
J’ai voulu interpréter ce poème dans une forme « libérée », mais en alexandrins, rythme familier aux oreilles francophones. J’y ai aussi transformé, par exemple, l’éclat de la neige en son crissement sous les pas, de manière à produire une expérience sensorielle plus complète créant, par la multiplication des canaux de perception – visuels, auditifs, olfactifs –, une impression d’ubiquité de l’absent·e qui tende vers l’absolu. J’ai aussi choisi de rendre la formulation un peu plus abstraite que dans l’original – par le recours à un lexique plus soutenu, par exemple, avec murmuration, effluve ou corolle –, estimant que la simplicité concrète, aussi efficace que naturelle en anglais, pouvait à l’occasion produire une impression de naïveté peut-être moins puissante en français que dans l’original. Enfin, j’ai modifié l’ordre des vers afin de commencer par l’aube pour finir par la nuit étoilée de manière à renforcer la notion d’omniprésence par l’évocation de la récurrence d’un cycle temporel.
Cette intangible omniprésence de l’absent·e, j’ai aussi voulu la caractériser plus subtilement que par le seul recours à l’anaphore (« I am »), c’est-à-dire par des artifices syntaxiques et grammaticaux visant à renforcer la pluralité des modes d’expression de la présence en ajoutant, par exemple, quelques compléments de lieu : ainsi, l’être disparu n’est plus seulement la nature même, il est parfois « dans » certains lieux, sa présence transfigurée se manifestant de manière parfois plus diffuse – avec, à l’occasion, l’évocation explicite d’une certaine spiritualité assumée (prie, esprit).
Enfin, j’ai choisi d’ajouter une coda visant à donner une dimension plus universelle et plus apaisante à l’absence, ici exprimée, plutôt que par la négation de la mort (« I did not die »), par une affirmation de la vie.
Do not stand at my grave and weep
Do not stand at my grave and weep,
I am not there, I do not sleep.
I am in a thousand winds that blow,
I am the softly falling snow.
I am the gentle showers of rain,
I am the fields of ripening grain.
I am in the morning hush,
I am in the graceful rush
Of beautiful birds in circling flight,
I am the starshine of the night.
I am in the flowers that bloom,
I am in a quiet room.
I am in the birds that sing,
I am in each lovely thing.
Do not stand at my grave and cry,
I am not there. I do not die.