Le “coup de la Brink’s” en marche arrière par George Elliott Clarke
Robert Paquin
traduction/adaptation
Avril 1970 :
Les photos dans les grands journaux
Nous laissent tous abasourdis.
Neuf gros fourgons blindés, Non! No!
Quittant en convoi le Québec
Avec notre argent, pour faire peur
Aux partisans de R. Lévesque
Et lui voler ses électeurs.
Le coup secoue! Les Rouges arrachent
La victoire au PQ affai-
bli. René Lévesque se fâche
De ce coup que la « Brink’s » a fait!
Qu’importe pour le F.L.Q.,
Que la leçon a indigné :
Bombes, kidnapping convaincus.
L’armée les fait tous prisonniers,
Ces terroristes. Certains fuient
Vers Cuba ou alors Paris –
Certains reviennent pour la suite
Et la prison; puis voter Oui.
Aujourd’hui, 50 ans plus tard,
On voit la Brink’s en marche arrière :
En hurlant, ces chauffeurs/chauffards,
Veulent conduire au cimetière
Le processus démocratique.
Plus de tests en laboratoire,
Enterrons la Santé publique,
Les fossoyeurs ont la victoire.
Les chauffeurs/chauffards démasqués,
Fiers de respirer le virus –
Libres de renâcler, choquer –
Crachent « Liberté » en chorus –
Empestant l’air de gaz puants,
Klaxonnant fort leur ignorance,
Se déclarant « libres » en criant,
Profanant avec insistance
Le monument d’un inconnu
En brandissant des croix gammées,
Leur but hurlé sans retenue,
À l’instar d’un fasciste armé.
Fasciste? Le mot n’est pas trop fort!
Tintamarre haineux jusqu’au soir,
Pollution des poumons à mort
(Sous gilets jaunes et blousons noirs),
Hurlant des slogans insidieux
Contre la Science en l’attaquant,
Ils n’ont pas le cœur d’un Grincheux,
Mais le cerveau de charlatans.
La meute s’abat pour râler,
Pour mordre, hurler, aboyer,
Piaffer, se creuser des fossés,
Prédateurs d’un « Parc » à loyer –
Pour s’attaquer au Parlement,
Encercler la Population
De leurs cris et glapissements.
Morale immorale, intention :
Égorger le Gouvernement
En pantelant autour du trône,
Ensuite geindre innocemment
(Oubliant leurs griefs fantômes).
Soudain, c’est clair : ils n’en ont pas
Contre les règles de Santé :
S’ils mettent les élus au pas,
Leur pouvoir sera supplanté
Par eux, sans qu’il y ait eu vote.
Ils se déclarent voix du Peuple –
Tous hommes et blancs et « patriotes » –
Marginaux – fanas – le vrai peuple.
Renversons ce « Coup Brink’s » inspiré de braillards;
Ou la Démocratie sera au corbillard.
Traduire George Elliott Clarke en français
Quand je traduis un poème, quel qu’il soit, je dis toujours que c’est une traduction/adaptation. À plus forte raison quand c’est un poème en vers rimés avec une métrique fixe, comme celui-ci. Si je traduis le sens exact du poème, il m’est impossible de respecter la métrique et la rime. Si je respecte parfaitement la métrique et la rime, il m’est impossible de traduire tous les mots du poème exactement.
Le vocabulaire anglais comprend beaucoup de mots monosyllabiques et la relation entre les mots dépend essentiellement de l’ordre dans lequel ils sont placés, alors qu’en français on utilise des articles et des prépositions en abondance, et que la plupart des mots sont polysyllabiques.
Mon but est qu’en lisant le poème en français, on ait la même expérience que la personne qui le lit en anglais… ou presque la même expérience (soyons réaliste). Il me faut donc adapter et choisir.
Dans ce poème, George Elliott Clarke utilise des vers iambiques, c’est-à-dire une alternance de syllabe non accentuée et de syllabe accentuée. Dans un vers de quatre pieds iambiques, quatre syllabes sont accentuées et quatre non accentuées. Il y a donc huit syllabes en tout, ce qui donne le rythme : taDa, taDa, taDa, taDa. J’ai choisi le vers octosyllabique, bien que, comme chacun sait, en français seule la dernière syllabe du dernier mot de l’énoncé soit accentuée. Oublions la nécessité de suivre l’accentuation de l’anglais.
J’ai quand même suivi le même modèle de rimes, ABAB, sauf pour les deux derniers vers, qui sont des pentamètres iambiques avec une rime AA, que j’ai traduits en alexandrins rimés AA.
Clarke joue beaucoup sur les sons dans son entassement de mots monosyllabiques. Il faut choisir des mots qui auront un effet comparable, mais comme le français exige qu’on relie des mots de plus d’une syllabe avec des articles et des prépositions, j’ai dû éliminer des mots, choisir ce qu’il importait de traduire pour ne pas trahir le sens de la pensée du poète.
“The ‘Brink’s Coup’ in Reverse”
by George Elliott Clarke
In April 1970,
Newspaper photographs portrayed
Brink’s trucks—in armoured pageantry—
Quitting—in convoy cavalcade—
Québec: Shifty propaganda
To sway Québec voters away
From hugging that puckish panda—
R. Lévesque—dawn Election Day.
The “Brink’s Coup” rocked! The Grits triumphed,
The Parti Québécois wasted
In loss. René Lévesque harrumphed:
That faux “Brink’s Coup” he lambasted!
But, so what? Well, the F.L.Q.
Got the “lesson”: “The vote be rigged”!
Thus lobbed bombs, jobbed kidnappings, too,
Until soldiers tramped, camped, then brigged
The terrorists. But fled coy few
To Cuba, or else to Paris—
Then ahoyed home to—heck!—trials due;
Jail; then checked Oui for Sovereignty.
Fast forward now some 50 years,
And spy the “Brink’s Coup” in reverse:
Truck-curs skilled at ‘giving the gears,’
Swarm, storm, and teem. Each one’s a hearse
For democratic processes:
Wanting dead and gone Public Health,
To coffin Lab Test addresses,
Inter Thought with gravedigger stealth.
Now that the truck-curs stand unmasked,
Proud to inhale virus and die—
Free to snot-nose honk, snort—as tasked—
Bully their bullhorn “Liberty”—
Each obnoxious, noxious airhead,
Each foul, airhorn ignoramus,
Claiming “Freedom” means dropping dead,
Thus can desecrate the nameless
Soldier’s monument, or brandish
Swastika, trump the Stars and Bars,
Pump fireworks and fumes outlandish,
Play toxic, fascist avatars.
Fascist? The word is not too strong!
The polluting, Hate-filled racket,
The smog that befogs—clogs—each lung
(Neath Black Shirt or Yellow Jacket),
Puffs insidious smoke and stench,
Anti-Science and anti-Facts.
These lack the wee heart of The Grinch,
But boast the pea-brains that host quacks.
So pounces the pack—to brawl, bitch,
Bite, or bare fangs and snarl, howl, bark,
Paw the pavement and dig the ditch,
Hunker down—predators in “Park”—
To prey on Parliament, corral
The Populace, then yip and yelp
And nip. Immoral their morale:
To leap at throat, sink fangs in scalp,
To kill elected Government,
To bay and pant and hound the throne,
Then groan as if all innocent
(Even grievances quick disown).
Suddenly, it’s clear: They don’t want
Mere Public Health measures to end:
They growl to be the Government—
To Putsch themselves into Power, rend
Constitution and the ballot,
Pretend to represent the Volk—
All white men (or so they allot)—
The fringe—the fiendish—their true folk.
Time to reverse the “Brink’s Coup” in reverse:
Lest Democracy end up in a hearse.