Predestination
by Rachel Korn
Chantal Ringue
Predestination
Do you believe predestination can mean all at once ?
Do you believe predestination appears clearly at first glance ?
And can you read in it the ancient tongue
That carries your decree, your sentence, your fortune?
It is the unexpected smile, shyly childlike
Transcending all that is coming soon
And the hands are trembling while at the same moment
They have taken your entire life under their care
Now, I know: it is not in vain that death has shunned me
Every stone on the road has become a cushion
Every frontier, a wedding ring driving me to you
As to a distant and unknown shore
And if ever I were away from you for a while
It would be as if my death had turned against me
In order to fulfill the destiny of my blood
To drain all the bitterness from a last gaze.
Prédestination
Pourquoi écrire un poème intitulé Bashertkayt, « Prédestination » ? Pourquoi en faire le titre d’un recueil de poèmes composés sur une période de vingt ans, de 1928 à 1948 ? Ce sont des poèmes de jeunesse, ils appartiennent à sa période européenne. Les dernières années seront marquées par le trauma, le déplacement, l’errance.
La prédestination, je la vois s’incarner dans la tradition juive, à travers la promulgation des lois bibliques et des commandements, la rédaction des textes sacrés. Quelques références à la « langue ancienne » (« ouraltikn shprakh ») transportent le lecteur dans un univers référentiel distinct, le texte germanique s’exprimant sur un arrière-fond biblique où scintillent quelques mots hébreux « posek » (« décret »), « gzeyre » (« jugement »). Ceux-ci, on le devine, interpellent la présence divine. Depuis que la mort a ignoré la narratrice, « chaque pierre sur son chemin devient un oreiller, / chaque frontière devient une alliance qui la ramène vers [lui] ». Cette référence à Jacob illumine le texte.
Dans la Genèse, il est écrit que : « Jacob arriva dans un lieu où il passa la nuit ; car le soleil était couché. Il y prit une pierre, dont il fit son chevet, et il se coucha dans ce lieu-là » (Genèse 28.11 .) Est-ce à dire que, comme le patriarche, la narratrice est en proie à la vision d’une échelle entourée d’anges atteignant le ciel et Dieu ? Car un chemin d’errance est aussi l’occasion de renouer avec la parole, avec le sacré, « mains tremblantes » (« tsiteren hent »). L’espoir s’incarne tout entier ici dans « le sourire inattendu et timidement enfantin » quand émerge la vie nouvelle.
Et comment puis-je comprendre la douleur de Rachel dans ces écrits ? Ce doit être que moi aussi, j’ai traversé des moments de solitude vertigineux, où les couloirs sombres de la chambre d’enfance étaient marqués par l’ombre des morts dans une filiation brisée.
L’alliance, les fiançailles, thèmes récurrents chez Korn, conditionnent aussi une vocation, un héritage qui se déclinent dans un temps gelé, celui de la langue qui s’évanouit lentement, et sur laquelle elle porte un ultime regard.
Qu’advient-il de cette femme après 1948 ? Une vie nord-américaine débute. La poète trouve un ancrage à Montréal, elle s’installe successivement à Snowdon, puis à Outremont. Elle s’enracine rue Maplewood – nom évocateur s’il en est –, où elle habitera pendant plus de deux décennies.