Writing and Translating the Intimate: Vital Signs, a work of digital literature about food by Geneviève Sicotte
Sherry Simon & Geneviève Sicotte
Bone-Meat
Bone-Meat
It was a lovely little hand puppet, with the head of a sad Spaniel, eyes of amber glass and a rough beige coat, very lifelike. I made him talk with a deep voice, as if he were already old.
If my sister could call her squirrel Hazelnut, why not Bone-Meat for my dog, because that was what he ate: bones and meat. This explanation, provided by my three-year old self, soon entered family legend. A funny story, meant to reveal my childhood naiveté.
But how to deny what was obviously spoken with those words.
Bone: death, desiccation, skeletons. Absolute darkness.
Meat: carnivorous appetite, the almost cannibal drive, need and desire, which seemed to find expression only in destruction. With blood.
Not a little girl who ate too much bread and cream, like poor Sophie. Not the sweet-toothed Gretel saved by her brother from too much candy. Nothing sugary or gentle.
My lot: need that poisoned everything.
To overcome this famine, my savage teeth had learned that one must go to the heart of things, tear apart the very fiber of life. Bone-Meat was my guide. Under his protection, I became part of the world of beasts, I turned myself into a dog.
I remember disturbing holiday meals. Gathered around the dining room table, we performed in extreme tension the ritual of the family meal. I stood on a narrow ridge edged by precipices: on one side the dark strength emanating from my mother, her violent outbursts, on the other the stern rigour of my father. The air was unbreathable.
Sometimes on the menu was a fondue bourguignonne with a pot of hot oil in which we dipped our pieces of beef. They were served with luscious mayonnaises spiced up with garlic, curry, chili pepper. I didn’t bother with the cooking, I enjoyed my meat raw.
Meat against death.
Bone-Meat. For a long time I believed he was watching over me. But I understand now that it is me who is watching over him and over the little girl he guided here.
Écrire et traduire l’intime : Signes de vie, une œuvre de littérature numérique sur le thème des nourritures
Os-Viande
C’était une belle petite marionnette à enfiler sur la main, un épagneul à la tête triste, avec des yeux de verre ambré et un pelage beige rugueux, très réaliste. Je le faisais parler avec une voix grave, comme s’il était déjà vieux.
Si ma sœur avait appelé son écureuil Noisette, pourquoi pas Os-Viande pour mon chien, puisque c’est ce qu’il mangeait : des os, et de la viande. L’explication, donnée du haut de mes trois ans, a pris place dans la fable familiale. Une histoire racontée en riant, censée révéler ma naïveté d’enfant.
Mais comment nier l’évidence de ce qui se disait à travers ces mots.
Os : la mort, la sécheresse, le squelette. La noirceur absolue.
Viande : l’appétit carnivore, la pulsion presque cannibale, le besoin et le désir, qui semblaient ne pouvoir s’exprimer que dans la destruction. Avec le sang.
Pas de petite fille qui mangeait trop de pain et de crème, comme la malheureuse Sophie. Pas de Gretel gourmande sauvée par son frère de la convoitise des bonbons. Rien de sucré ni de doux.
Ma part : le manque qui empoisonnait tout.
Pour surmonter cette famine, mes dents de sauvage avaient appris qu’il fallait aller au cœur des choses, déchirer la fibre même de la vie. Os-Viande était mon guide. Sous sa protection, j’intégrais le monde des bêtes, je devenais chien.
Je me souviens d’inquiétants repas de fête. Réunis à la table de la salle à manger, nous accomplissions dans une tension extrême le rituel du dîner en famille. Je me tenais sur une crête étroite, bordée de précipices : d’un côté la force sombre qui émanait de ma mère, ses éclats violents, de l’autre la rigueur sévère de mon père. L’air devenait irrespirable.
Il y avait parfois au menu une fondue bourguignonne, avec un caquelon d’huile bouillante où nous plongions des morceaux de bœuf. De somptueuses mayonnaises, relevées d’ail, de cari, de piment, les accompagnaient. Je me passais de la cuisson, mon délice était de manger cette viande crue.
La viande contre la mort.
Os-Viande. J’ai longtemps cru qu’il continuait de veiller sur moi. Je comprends mieux, maintenant, que c’est moi qui veille sur lui, et sur la petite fille qu’il a guidée jusqu’ici.