Les mots nous phrasent
Sylvie Nicolas
Les mots nous phrasent
Les mots, mes amis, sont vivants. Ils nous affectent,
nous ne devons pas l’oublier. Une sentence à vie
d’histoires : de noms : de demandes de pardon.
Les mots se glissent dans notre lit
parlent / touchent \ tremblent
autant qu’une main amoureuse.
Les mots laissent les traces ardentes
la luminosité du jour de l’après, de ce goût
de l’après du « je t’aime ».
L’insatiable faim des mots prolonge l’amour
vingt-six chandelles allumées, se consumant
la persistante et douloureuse chronologie du temps.
Les mots, mes amis, sont violents. Ils nous s é p a r e n t les uns des autres.
Les mots font la guerre kidnappent | tuent larguent
des bombes || érigent des murs
Forcent à l’exil || excluent || exécutent || des corps
des masses de corps, battus : ensanglantés : tertres d’ossements, mitraillés :
En une seule journée, à Sarajevo, 3777 tirs d’obus : un record.
Le rouge explosif de celui qui a frappé le hijab fleuri de ma
grand-mère. Les mots « musulmane » et « Bosanka’ » l’ont achevée.
rahmetli nena : regrettée grand-maman
Les mots s’amènent trop tard
En retard sur les histoires : les noms : les demandes de pardon
Elle s’appelait Šuhra Fejzić,
mais avant que les mots « Je le veux » changent sa vie « la casent »
Šuhra Husović était le nom de jeune fille de ma nena.
Les mots, mes amis, sont des ponts – gravés sur la stèle de ma nena, des symboles : des vagues, des branches, des soleils – de l’arabe, une langue qui n’est pas ma langue – une langue qui n’est pas ma langue, là, sur le bout de ma langue, son goût de pita krompiruša.
Les mots (réparent), soulagent, nous font re-vivre :
« abandonner tout désir ou pouvoir de punir », pardonner
« s’abandonner » aux mots, étrangers et pourtant familiers.
Words word us
Words, my friends, are alive. They do things to us,
we must not forget it. They sentence us
to lifetimes of stories : names : sorries.
Words lie with us in bed
tell / touch \ tremble
like a lover’s hand.
Words leave traces of heat
afternoon brilliance after contact after-
taste of “I love you.”
Words hunger make love longer
twenty-six candles lit, burning
the persistent, painful chronology of time.
Words, my friends, are violent. They b r e a k us a part.
Words war kidnap | kill drop
bombs | | build walls
exile || exclude | | execute || bodies ||
bodies of bodies, beaten : bloody bodies : bone buttes, gun-blazed ::
A record of 3,777 grenades fired at Sarajevo in one day.
The one that fell on my grandmother’s sunflower hijab blasted
red. The words “Muslim” and “Bosanka” shot her dead.
rahmetli nena : late grandma
Words come too late
tardive stories: names: sorries
Her name was Šuhra Fejzić
before the words “I do,” changed her life “gave her in”
her maiden name was Šuhra Husović, my nena.
Words, my friends, are bridges—on my nena’s grave, curved symbols: waves, branches, suns—Arabic, a language not my language—a language not my language, living on my tongue, taste of pita krompiruša.
Words (repair), relieve, re-live us:
“to give up desire or power to punish,” etymology of Forgive
to “give in” to words, foreign yet familiar
أسرة
سلام
حب